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Par Elena Lysak
Adjointe au maire de l’Égalité et Droits des Femmes à Fontenay-sous-Bois et militante associative, Assia Benziane gère plusieurs projets. À l’âge de 17 ans elle a fondé des écoles pour les femmes en Algérie, fondé sa propre Association en France, et devenue élue au Conseil municipal. Tout en restant active et positive, cette jeune femme met en lumière son secret de la vie sans aucun regret.
“Je suis une porte que les femmes poussent pour avoir de l’aide.”
Tu es Adjointe au maire Égalité et Droits des Femmes à Fontenay-sous-Bois. Raconte, s’il te plaît, pourquoi tu as décidé de choisir une carrière politique?
En fait, je suis devenue conseillère municipale par hasard. Mais j’ai commencé très jeune, j’ai été d’abord militante associative, à partir de mes 17 ans.
Et après, j’ai créé des écoles pour les femmes en Algérie. Et c’est ici que Monsieur le Maire m’a appelée pour m’inviter à intégrer le Conseil municipal. Mais moi, je ne connaissais rien de la politique, rien du tout ! Je ne m’y intéressais pas. Et c’était tout nouveau pour moi.
Donc j’ai commencé au Conseil municipal, à 19 ans et après le Maire m’a proposé d’être son Adjointe Égalité et Droits des Femmes, j’ai été la plus jeune élue en France à l’époque. En fait, cela fait 9 ans que je suis élue et 3 ans que je suis Maire adjointe.
Mais quand M. le Maire t’a appelé il t’a proposé quoi? De devenir quoi?
D’abord j’ai été au Conseil municipal, en tant que conseillère municipale et c’était un vrai apprentissage ! On ne t’apprend pas comment effectuer ce travail avec des dossiers des gens, comment leur communiquer, les recevoir… Et le poste de Maire adjointe est devenu une sorte de continuité en fait…
Et pourquoi, il te l’a proposé, comment tu trouves?
Ça fait très longtemps que je milite pour les droits des femmes! Et je suis très sensible à cela! Je pense qu’il me connaissait déjà par ce que je faisais.
Donc en fait, on a créé un poste pour toi, dans la mairie?
Non, à Fontenay-sous-Bois on est très sensible pour les questions de droits des femmes! Et bien sûr il y avait une personne qui s’occupait de cela avant moi, j’ai repris cette délégation.
Quand tu es venue, tu as commencé par faire quoi en tant que Maire adjointe?
On a commencé par une campagne municipale : parler aux gens, communiquer… Faire son terrain en fait et préparer les propositions avec les habitant-e-s, on a toujours un programme municipal à suivre, avec des idées. Donc je n’ai pas inventé par exemple, la Journée Internationale des Droits des Femmes – En fait, on a 6 ans de réaliser les propositions.
Mais est-ce qu’il y a quelque chose que tu voulais inventer personnellement?
Moi, les propositions que j’ai faites, qui n’étaient pas au programme municipal, c’est de parler des maladies féminines. Par exemple, il y a une maladie qui s’appelle l’endométriose, et je me suis dit, même si ce n’est pas dans notre programme en tant que tel, il faut qu’on le fasse.
Et puis, il y a l’IVG médicamenteuse gratuite qu’on propose aux femmes grâce à la région. Le problème est que beaucoup de centres des IVG ont été fermé, 130 en France en dix ans, voilà un exemple.
À ton avis c’est demandé, je veux dire, les IVG en France?
Alors, pas directement, mais on a remarqué dans notre dernier rapport sur l’égalité des droits des femmes et des hommes, au mois de mars, qu’en fait, la situation de notre ville et la situation nationale se ressemblent.
Donc oui, c’est demandé, parce que les femmes auront besoin un jour de cela. Peut-être pas toutes, mais certaines femmes. Et dans notre ville elles peuvent le faire dans le centre municipal de la santé – il leur faut prendre un rendez-vous avec un gynécologue, qui peut les aider avec la décision de garder ou non son bébé, voir même, dans les certains cas, il peut les orienter vers la procédure de l’IVG.
Très intéressant! Mais en dehors des statistiques, il existe des cas personnels. Est-ce qu’il y a des choses que tu as apprises par des femmes qui viennent te voir?
Je rencontre des femmes-victimes de la violence. Cette année j’en ai eu déjà des dizaine– c’est quand même beaucoup pour ville. Et tous les cas sont différents! J’ai par exemple, une femme qui voulait porter plainte contre son mari qui était violent, mais elle n’osait pas le faire!
Mais pourquoi ne pas s’adresser plutôt vers les Associations qui s’occupent de ce genre de problèmes? Je voudrais dire, pourquoi les femmes viennent à la mairie?
En fait, à Fontenay on a mis en place une manière de traiter les différents types de la violence – non seulement la violence physique, mais aussi la violence économique, morale, etc. Et toutes ces femmes-là, elles vont se définir de manière différente, et ce n’est pas toujours évident pour certaines d’entre elles de trouver une association qui correspondrait à son propre cas. Tu comprends?
Donc oui, il existe des associations partenaires dans notre ville, mais nous n’empêchons pas les femmes de venir en mairie si elles en ressentent le besoin.
Ou bien elles peuvent aller voir un médecin traitant, ou aller directement au commissariat, sinon elle peut aussi s’adresser à moi. Et moi, en tant qu’élue, je suis une porte que les femmes poussent pour avoir de l’aide. Quand elles demandent un rendez-vous, je ne dis jamais non, je les reçois rapidement et je les oriente après vers les assistantes sociales.
En fait, on ne laisse jamais les femmes sans aide, même si les situations sont très différentes.
Là, par exemple, j’ai une femme qui voulait porter plainte contre son mari, et qui avait besoin de quelqu’un pour l’accompagner au commissariat. Ce n’est pas mon rôle, mais j’ai beaucoup d’empathie, et je ne peux pas lui dire non… Oui, je suis allée avec elle au commissariat pour qu’elle puisse porter sa plainte. Et tu vois, c’est très important! Ce sont des choses qui existent, il faut le savoir.
“Moi aussi, je voudrais monter ma pierre à l’édifice.”
Parlons un peu de ton travail associatif. A 17 ans tu as réussi d’avoir un financement pour créer un projet éducatif. Raconte-moi ton parcours vers cela.
Oui. Mais en fait, j’ai commencé à 14 ans avec de l’aide aux enfants – des devoirs, des sorties scolaires, choses comme ça… Et après, je continuais dans l’association qui s’appelle “Résister, Insister, Persister” (RIP), à Fontenay-sous-Bois, à 17 ans c’était mon premier voyage humanitaire au Brésil, on y rénovait les salles de classe. Donc quand je suis rentrée, j’avais envie d’avoir mon propre projet! Je me suis dit: “Moi aussi, je voudrais monter ma pierre à l’édifice!” Sauf que je ne savais pas du tout dans quel domaine je pourrais aider…
Et cela tombait à pic. Je suis retournée dans mon pays natal, en Algérie, quelques mois après, où j’avais une voisine, Nabila, de même âge que moi. Un jour on a discuté de mon bac, et elle m’a dit: “Tu as de la chance, car nous ici, on ne va pas à l’école”.
C’était le choc! Le lendemain je l’ai dit à ma mère, qui me l’a confirmé. Et je lui ai dit:
“Ah non, non! On ne peut pas laisser ça comme ça! Il faut qu’on fasse quelque chose.”
Non mais … car en Algérie des Nabilas – il y en a plein ! Dans les grandes villes, oui, les femmes vont à l’école, elles vont à l’université … Mais dans un petit village où je suis née, il n’y a presque rien pour elles! Elles vont à la primaire, et après pour continuer il faut qu’elles se déplacent, mais si les parents n’ont pas d’argent, qu’est-ce qui leur reste à faire? Rien. Donc en fait on a décidé avec ma maman de ramener l’école dans notre village, plus dans les villages d’à côté. Voilà!
Génial! Et vous avez fait combien d’écoles au total?
Finalement on a fait 9 écoles. Mais au début c’était une classe dans le salon de ma maison. Et on a trouvé une femme, ancienne enseignante, à qui on a proposé ce projet. Tout de suite on a eu 70 personnes qui ont été inscrites, à l’âge de 13 à 77 ans. Et oui, à l’époque on n’avait pas encore d’argent.
Et comment avez-vous annoncé ce projet aux femmes, comment les avez-vous attirées?
Avec ma maman on s’est dit qu’il faut que ça vienne des femmes, elles-mêmes. On a toqué aux portes en disant que demain il y aura une réunion pour des femmes… On a discuté avec des femmes sur ce qu’elles vouaient avoir comme formation, et les femmes nous ont dit qu’elles voulaient apprendre à lire pour donner des médicaments aux enfants, tu vois?
Et après? Comment as-tu développé ce projet?
Quand je suis rentrée en France, j’en ai parlé à RIP, et ils m’ont proposé de construire le projet. Avec ce projet j’ai appelé la Fondation du magazine ELLE et j’ai eu mon rendez-vous la semaine d’après. Du coup, ils m’ont aidé à construire les 9 écoles, des vraies écoles dans les anciennes mosquées qui ont été rénovées pour cela.
Incroyable! On enseignait quoi dans ces écoles?
Alphabétisation en Français, en Anglais et en Arabe. Il y avait des différents niveaux de l’enseignement, et on a formé plus de 500 femmes au total.
Est-ce que tu peux préciser le montant du soutien financier, que tu as reçu de la Fondation?
Ils m’ont donné 20 000 euros, mais au début j’ai demandé 2 000.
C’est drôle, parce que je n’ai compté que des stylos, des cahiers, des tableaux. Et oui, j’ai réussi à avoir 20 000.
Mais en fait, notre but c’était de ne pas rester avec ces femmes tout le temps, et vraiment il fallait les aider à sortir des villages, à devenir plus indépendantes. C’était ça notre but avec ma maman. Et après les femmes ont créé une association, elles ont commencé des cours de cuisine, des sorties en ville, etc. En fait, elles n’ont jamais fait des choses comme ça!
Il y avait, par exemple, une femme qui n’a jamais vu la mer, alors qu’elle habitait à 2 heures de la plage! On parle plutôt d’auto exclusions des femmes, qui souvent n’osent pas faire quelque chose. C’est une sorte d’autocensure portée par des femmes sur elles-mêmes.
Et les hommes, qu’est-ce qu’ils disaient en les regardant?
Alors, avec les hommes dans les villages c’est très bien passé! Au début, les hommes donnent leur accord pour que les femmes soient alphabétisées, et ils ont été d’accord, ils ont été contents! Ils nous ont même proposé leur aide.
“On est libre, les femmes algériennes, et on fait ce qu’on veut faire.”
A 17 ans, faire tellement de choses incroyables! Ta famille, elle était très fière de toi, j’imagine.
Fière, mais on est dans la pudeur quand même! Chez nous on est très pudique: c’est bien, mais c’est tout, quoi. Il ne faut pas en parler tout le temps.
Et ta mère, tes deux sœurs – elles ont des idées aussi féministes que toi?
Ah, oui! Aucun souci, même en Algérie ça se passe bien, ma famille est assez ouverte d’esprit, les femmes peuvent s’exprimer, elles peuvent sortir sans leurs maris. Non, non, ce n’est pas un problème.
C’est très bien! Encore un peu sur ta famille – tes parents, quels métiers exercent-ils?
Ma mère est gouvernante, et mon père est chef-cuisinier. Ils se sont rencontrés en Algérie, puis comme il y avait des terroristes, mes parents ont décidé de se déplacer en France avec moi et ma grande sœur. J’avais 1 an à l’époque.
Ma mère est Française, sa famille habite ici, donc je pense que ce n’était pas trop difficile pour elle, mais pour mon père… Il était professeur de lettres arabes en Algérie, et en France il a commencé comme plongeur dans un restaurant. Après, il a gravi des échelons, et maintenant il est chef cuisinier dans un restaurant italien.
Tout est possible avec le temps!
Et toi, quelle formation as-tu reçu?
J’ai une formation de l’hôtesse de l’air. Aucun rapport avec la politique.
Wow! Et pourquoi ce choix du métier?
Parce que j’aime voyager, cela m’a toujours passionné, les voyages, les découvertes des gens, des autres cultures, etc. Après j’ai été élue, donc je ne pouvais plus bouger de ma place, et il fallait choisir… Mais je ne regrette rien, car j’ai choisi ce qu’il me fallait choisir. Voilà!
Mais aujourd’hui je travaille comme chef de bord à la SNCF -hôtesse de l’air, mais dans les TGV.
Est-ce que c’est bien vu en Algérie, ce type des professions?
Écoute, on est libre.
Puis-je te poser une question sur ta cousine Sohane. Jeune fille tuée à l’âge de 17 ans.
C’était un choc ici en France, et même dans le monde entier! Elle a été brulée vive à Vitry, dans la banlieue parisienne. Et en fait, on s’est rendu compte à ce moment-là que les droits des femmes ne sont pas acquis, qu’il y a des choses atroces qui peuvent encore arriver en France!
Il n’y a pas de barrières de territoire, c’est-à-dire que la violence faite aux femmes, elle se passe dans le monde entier. C’était en 2002, mais cela existe aujourd’hui encore …
Je ne nie pas le fait que des femmes sont oppressées dans certains pays et je rêve que toutes les femmes soient libres de leur mouvement, de leur tenue.
“Je n’ai pas des jours de repos, sinon, très-très peu.”
Et tu fais beaucoup de choses dans ta vie! Comment tu t’organises avec tout ça?
En fait, je n’ai pas de jours de repos, sinon, très-très peu. Soit je travaille, soit je suis à la mairie, et puis, j’ai une association, ici en France. C’est un projet qui s’appelle ABC, et dont le but c’est la redistribution de vêtements: on récupère des vêtements, afin de les envoyer aux gens qui en ont besoin. Voilà! Tout ça prend du temps …
Donc pour tout ce qui est la vie privée, la vie familiale – je n’ai pas trop de temps. Mais j’ai bien ma vie! Ça me plaît beaucoup. Et du coup, j’essaie de suivre mes traditions – là par exemple, j’ai une tradition de passer chaque mon anniversaire dans les pays différents.
Tes journées, comment tu les organises?
Ça dépend de mon planning. En général, je commence assez tard, à 10h, je consulte les mails de ma secrétaire, les messages, les réseaux sociaux. Après je me lève, et je bois un grand verre d’eau.
Le matin je ne mange rien, car je préfère le repas du midi. Et oui, je ne prends pas de café, ni d’autre chose qui me rends dépendante. Je ne bois pas de l’alcool, je ne fume pas. Voilà!
Très saine! Tu pratiques le sport?
Non. Je n’ai pas besoin, en fait. J’ai la vie assez active même sans le sport!
“La réussite ne se fait pas toute seule … sans des gens qui nous aident au quotidien.”
On va parler du Succès? Tu es jeune, mais tu as fait déjà beaucoup de choses, tu gères plusieurs projets. Est-ce que tu as du Succès?
Écoute, je ne sais pas si j’ai du succès ou si je suis réussie. Mais je suis satisfaite de ma vie ! Donc oui, pour moi c’est une manière de réussir. Et aussi, être fière de ce que l’on est, de ce que l’on fait…
Ma vie idéale c’est d’être engagée à de pleins de thématiques.
Ayant plusieurs choses à faire, est-ce qu’il existe, à ton avis, le risque de se disperser?
Alors, oui, il y a un risque. Mais, moi, je suis très organisée : j’aime planifier des choses, et je me donne les moyens de planifier.
Et quels sont ces moyens?
J’ai mon agenda, j’ai une secrétaire, qui gère mon planning au niveau de la mairie. Donc je ne me disperse pas. Et puis, tout est inscrit dans mon téléphone, dans mon iPad, et je sais toujours où je dois aller. Voilà! Et oui!
Je crois, que la réussite ne se fait pas toute seule, c’est-à-dire on ne peut pas réussir sans des gens qui nous aident au quotidien, comme la personne qui m’aide dans la mairie, par exemple.
Quel est ton secret?
Il faut oser faire des choses! Parce que nous, les femmes, on a la tendance de se mettre beaucoup de barrières, de se compter moins capables que des hommes… Alors que les hommes ne le font jamais!
Donc, il faut oser plutôt supprimer ses barrières, et il faut être bien entourées par des personnes qui pourraient t’aider dans tes projets.
Moi, par exemple, pour ABC je travaille avec ma maman.
La chose la plus importante dans ta vie?
C’est ma famille.
Est-ce qu’il y a des femmes qui t’inspirent?
Bien sûr! Michele Obama, Malala Yousafzai, Beyonce. Et ma maman m’inspire beaucoup, bien sûr!
Et parmi des hommes?
C’est mon père. D’autres… Ah, c’est plus compliqué … C’est tout.
“Égalité c’est bien pour tout le monde – autant pour des femmes, que pour des hommes, et pour la société entière.”
Quel est ton rêve?
Moi, mon rêve c’est d’être toujours aussi engagée, mais toujours profiter de la vie. Comme on n’a qu’une seule vie, essayons de faire le maximum de choses positives!
Il faut toujours essayer, et ne pas regretter. Jamais! Et même si je fais des erreurs – ce n’est pas grave! Je les prends comme expérience.
Dis-moi, quel sera ton conseil à nos lectrices?
C’est ce que j’ai dit en fait: il faut toujours essayer! Toujours! Et nous, les femmes, il faut que l’on arrête de s’autocensurer. Parce qu’on a toutes les compétences pour réussir.
Et quel sera ton conseil à ta fille ou à ton fils?
Mon conseil….
Foncez!
Ah oui! Il faut faire ce qui leur plait, faire ce qu’ils veulent.
Alors, imaginons que tu es une magicienne. Qu’est-ce que tu changes dans le monde?
Ah, je mettrais l’égalité entre les hommes et les femmes partout dans le monde – ce serait magique! Car l’égalité c’est bien pour tout le monde – autant pour les femmes, que pour les hommes, et pour la société entière!
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